#26 - Les 5 essais de 2024 / Points chauds : Allemagne, Corée du Sud
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Sélection - Les 5 essais de 2024
Points chauds : Allemagne, Corée du Sud.
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Pour cette nouvelle année, je vous souhaite une année pleine de découvertes, de rencontres, de joies et de victoires en faveur de la démocratie et de la dignité humaine.
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Laurent
Crédits : Umberto Gervasi
Umberto Gervasi est né à Catane en 1939 dans une famille de vendeurs ambulants. À l'âge de 14 ans, il commence à travailler comme maçon, puis devient métallurgiste à 28 ans tout en continuant son travail artistique. Sa production se distingue de sculptures et de peintures en terre cuite inspirées des couleurs vives du folklore sicilien, aux souvenirs d’enfance en passant par les luttes ouvrières.
2024 : les 5 essais qui m’ont inspiré
Pour bien commencer l’année, je vous livre ici les essais qui m’ont le plus marqué. Ils m’ont permis d’ouvrir des perspectives ou faire un pas de côté pour mieux comprendre notre monde. Ils n’ont pas été nécessairement publié cette année et ne traitent pas nécessairement directement de la démocratie.
Mathieu QUET, Flux. Comment la pensée logistique gouverne le monde (2022).
Le sociologue au CNRS raconte globalement comment la pensée logistique gouverne le monde. Une forme de rationalisation (issue originellement de la doctrine militaire) s'est répandue à toutes les sphères de nos vie : de la gestion des femmes et des hommes au quotidien, du bétail, des colis, en passant par nos émotions et à nos données numériques personnelles.
Michel CAHEN, Colonialité (2024).
Ouvrage de discussion théorique essentiel pour s’assurer de la bonne compréhension d’un concept devenu central : la colonialité. Ce livre est intéressant à deux titres : les comparaisons entre pays africains (lusophones notamment) et pays d’Amérique du Sud ; et son ancrage du côté des mouvements sociaux pour qui la colonialité est tout sauf un concept évanescent, mais une réalité en prise avec les conditions socio-économiques contre lesquelles ils se battent. L’ouvrage offre aussi une distanciation critique vis-à-vis d’un certain latino-centrisme des théories décoloniales qui ont pu tomber pour certaines dans un « orientalisme à rebours ». La partie finale propose une réflexion salutaire face au « campisme anti-occidental » d’un certain nombre de théoriciens du décolonial, usant du concept flou de « Sud global » pour critiquer les impérialismes occidentaux au risque de rejeter les conquêtes et les droits démocratiques des peuples.
Simon Cottin-Marx et Baptiste Mylondo, Travailler sans patron (2024).
Alors que de nombreux salariés aspirent à une transformation de l’organisation du travail, que signifie concrètement la promesse de travailler dans des collectifs sans patron ? Un essai ancré dans des expériences concrètes et qui prend au sérieux les valeurs de démocratie et d'équité prônées par les acteurs de l'économie sociale et solidaire. Les auteurs recensent les questions à se poser, les difficultés récurrentes au sein de ce type d’organisations, mais aussi des solutions expérimentées dans des crèches, des ONG, diverses coopératives, etc.
Kohei SAITO, Moins ! La décroissance est une philosophie (2024).
Un des livres majeurs de l’année sur le plan éditorial, Moins ! est une synthèse très efficace et didactique du travail de l’économiste Kohei Saito sur les carnets tardifs inédits de Marx. L’auteur déconstruit le désastre social et écologique du capitalisme, dénonce le mode de vie des pays développés, et prône une société fondée sur les communs. En proposant de démocratiser le processus de production, de multiplier les espaces de liberté et de construire des formes d’autolimitation, l’ouvrage propose une réflexion stimulante pour répondre à la triple crise économique, écologique et démocratique.
Ulrich Brand et Markus Wissen, Le mode de vie impérial (2021).
Cet essai (d’ailleurs largement cité par K. Saito) est une lecture indispensable pour mieux comprendre le mode de vie qui est le nôtre pour la plupart des citoyens des pays les plus riches de la planète. Notre quotidien et nos identités reposent sur la constitution d'un ailleurs où nos entreprises exploitent la force de travail comme elles ne peuvent le faire ici, et où nous faisons disparaître nos déchets et fructifier nos surplus. L’ouvrage nous invite à revoir nos vies quotidiennes et nos systèmes politiques et économiques alors que l’humanité biosphère atteignent aujourd'hui leurs limites et ne pourront bientôt plus fournir ce train de vie à l'origine de l’Anthropocène.
POINTS CHAUDS
ALLEMAGNE
Le pays le plus peuplé d’Europe est en proie à une crise économique et politique. Des élections législatives anticipées sont prévues le 23 février. Les sondages créditent le SPD d’Olaf Scholz de 17%, l’extrême droite en 2e autour de 19 % des intentions de vote, derrière l'opposition conservatrice, en tête avec 32 %. Les Verts sont à 13% selon le sondage de Politico. Le candidat conservateur Friedrich Merz, favori des sondages, a été directeur de la filiale allemande du plus gros fonds d’investissement du monde (BlackRock), ce qui lui a permis de s’acheter, entre autres, deux jets privés. Constituer une internationale fasciste semble être un objectif de plus en plus explicite pour Elon Musk. « Seul l'AfD peut sauver l'Allemagne » en pleine période électorale, a écrit celui qui a récemment soutenu également la Première ministre italienne Giorgia Meloni et le leader britannique Nigel Farage. Le propriétaire de X va mettre à profit son réseau social pour s’y entretenir, le 9 janvier prochain, avec Alice Weidel, la leader de la formation AfD et candidate au poste de chancelier. Rappelons que l’AfD a suscité indignation et d’importantes manifestations en début d’année 2024 après qu’un projet de « remigration » - c’est-à-dire d’expulser une partie des immigrés résidents en Allemagne - a été mis à jour par le journal d’investigation Correctiv. C’est en ex-Allemagne de l’Est que le parti d’extrême droite fait ses meilleurs scores, faisant des inégalités sociales et économiques un fonds de commerce xénophobe. Björn Höcke, le leader du parti en Thuringe, a été condamné en mai 2024 à 13 000 euros d’amende pour avoir repris un slogan nazi lors d’un meeting électoral. Höcke s’était déjà fait remarquer en 2017 en qualifiant le monument rendant hommage aux victimes de la Shoah à Berlin de « mémorial de la honte ». L’AfD est surveillé de près par le Renseignement intérieur allemand car reconnu par la justice comme d’extrême droite, ce qui, pour un mouvement politique en Allemagne, justifie une surveillance policière en raison de craintes d'atteinte à l'ordre constitutionnel.
En parallèle, Elon Musk doit se réjouir de la dégradation financière d’un de ses principaux concurrents : le constructeur automobile Volkswagen (qui avait annoncé en 2023, 122 milliards d’investissement dans les véhicules électriques). Le groupe prévoit la fermeture de trois usines en Allemagne ainsi qu’une réduction générale des salaires. Avec plus de 200 milliards d’euros de dette, Volkswagen est devenu l’entreprise cotée la plus endettée au monde. Le coût de l’énergie, renchéri par la guerre en Ukraine et les tensions avec la Russie, pèse lourd pour une industrie énergivore. La montée en puissance des marques chinoises d’automobile a tari le principal marché du constructeur, tandis qu’un management toxique et des guerres intestines entre héritiers du groupe ont fragilisé l’édifice. Enfin sur le plan judiciaire et de l’environnement alors que tous les jugements n’ont pas encore été rendus, on estime que l’affaire du Dieselgate a déjà coûté plus de 32 milliards d’euros à Volkswagen, depuis 2015.
CORÉE DU SUD
Depuis décembre, le sort politique de la Corée du Sud est un véritable feuilleton à rebondissements. Yoon Suk-yeol, président conservateur, ancien procureur indépendant, est passé en quelques années de pourfendeur des puissants, à apprenti sorcier de l’autoritarisme, désormais menacé de prison à vie pour « trahison ». Procureur, il fait arrêter le numéro deux de la police nationale et des proches des présidents progressistes Kim Dae-jung (1998-2003) et Roh Moo-hyun (2003-2008) puis pour détournement de fonds le président du conglomérat Hyundai, Chung Moon-koo. Il enquête sur la présidente conservatrice Park Geun-hye (2013-2017), dont il contribue à la destitution à la suite d’une sombre affaire de corruption et de trafic d’influence. Il est élu président en 2022 lors d’une campagne violente et avec un écart de seulement 0.8%.
“Plusieurs scandales ont émaillé la première année de son mandat : le déménagement impopulaire du bureau présidentiel de la Maison Bleue au bâtiment jusqu’alors occupé par le ministère de la Défense ; la bousculade mortelle d’Halloween ; ou encore l’affaire du sac de luxe offert en caméra cachée à la première dame.” - Justine Guichard
Le 3 décembre 2024, le chef de l'État sud-coréen décrète la loi martiale, au nom, explique-t-il de la protection du pays « de la menace des forces communistes nord-coréennes ». Une véritable tentative de coup d’Etat. Sous la pression de la rue et de l’opposition politique, il abroge la loi martiale. Le Parlement vote sa destitution le 14 décembre (après un premier vote qui échoue à quelques voix). Son mandat est suspendu le temps que la Cour constitutionnelle prenne une décision d’ici 180 jours. Il a été remplacé par le premier ministre. Yoon est sommé par le parquet de se présenter devant la justice ce qu’il refuse systématiquement. Mais, le premier ministre et président par intérim, Han Duck-soo est menacé, lui aussi, de destitution accusé d’avoir refusé de promulguer deux lois qui permettraient d'enquêter sur le président déchu et son épouse (pour des affaires de corruption).
Selon Justine Guichard, la Corée du Sud est traversée par une « politique de l’ennemi », un « ensemble des dispositifs et des pratiques consistant à illégaliser diverses formes d’opposition. Ce phénomène s’est déployé à grande échelle sous la période autoritaire et a muté sans disparaître avec la naissance de la VIᵉ République en 1987.»
Ce 3 janvier, 20 enquêteurs assistés de 80 policiers ont tenté d'arrêter le président, dans sa résidence officielle à Séoul, mais le service de sécurité présidentiel a formé une muraille humaine pour les empêcher de passer. Mais comme le rappelle cet article, la Corée du Sud n’en est pas à sa première destitution un mois de décembre :
“Huit ans plus tôt, les mêmes scènes avaient eu lieu pendant près de deux mois près de la Maison-Bleue, le siège de la présidence à Séoul. (…) la seule différence étant la cible : la cheffe de l’État de l’époque, Park Geun-hye. (…) La revendication ne changeait pas non plus : la foule réclamait sa destitution. La raison ? Son implication dans un vaste scandale d’abus de pouvoir et de corruption, ce qui allait aboutir à son départ, sa condamnation et un passage en prison. “ - François Bougon.
A écouter pour aller plus loin sur la crise démocratique en Corée du Sud, je vous conseille la table-ronde organisée par l’émission Cultures Monde.
Pour finir - le chiffre et la citation
“Tous les partis au pouvoir qui se sont présenter aux élections de 2024 dans un pays développé ont perdu des parts de voix, ce qui n'était jamais arrivé auparavant dans l’histoire. “
Source : Financial Times.
Serguei GURIEV & Daniel TREISMAN dans Spin Dictators (2023) :
« Les "spin dictators" ne sont pas seulement des tyrans violents de la vieille école qui ont appris quelques nouveaux trucs. Ils ont forgé une approche distincte et cohérente à l'échelle internationale. Les éléments clés - la manipulation des médias, l'ingénierie de la popularité, la fausse démocratie, la limitation de la violence publique et l'ouverture sur le monde - se complètent pour produire un modèle de gouvernance non libre qui se répand. »