Democrazy #18 - Rapports sur l'état de la démocratie et des libertés / Points chauds : Indonésie, Inde
L'actualité des démocraties et des engagements citoyens
🖖 Bonjour à toutes et à tous ,
Vous voici sur Democrazy, la lettre d’information, qui deux fois par mois, discute des processus démocratiques et des engagements citoyens dans le monde.
Vous appréciez ? Partagez !
Pas encore abonné·e·s ? Pour vous inscrire, c’est juste ici 👇
Au sommaire
Rapports - Etat des libertés et des démocraties dans le monde
Points chauds : Indonésie, Inde
Crédit : Steve Bandoma - Treasure, 2020. Pour plus d’informations sur l’artiste congolais Steve Bandoma, c’est par ici.
Etudes - Etat des libertés et des démocraties dans le monde
Indice des libertés académiques
L'indice de liberté académique 2024 fournit une vue d'ensemble de l'état de la liberté académique dans 179 pays du monde. Il est publié chaque année depuis 2007 grâce au travail de 2 329 experts et basé sur une méthodologie similaire à celle du rapport V-Dem (voir ci-dessous).
Eléments clés :
En 2006, un citoyen sur deux vivait dans une zone de liberté académique, cette proportion est désormais d’un sur trois.
23 pays connaissent un déclin de la liberté académique tandis que l’indice n’augmente que dans dix pays.
3,6 milliards de personnes vivent aujourd'hui dans des pays où la liberté académique est totalement restreinte.
En revanche, sur le temps long (50 ans) on constate que la liberté académique s'est développée dans 56 pays.
La République Tchèque a le score le plus élévé, tandis que la Corée du Nord est à la dernier place du classement. La France est à la 25e position dans la catégorie 10 à 20% les plus libres).
Source : Le monde - La liberté académique menacée dans le monde : « Les universitaires ont intérêt à s’exprimer ouvertement avant qu’il ne soit trop tard »
Rapport sur la démocratie du V-Dem institute
L'institut V-Dem, basé à l’université de Göteborg en Suède, a présenté son rapport annuel sur l'état de la démocratie dans le monde pour la huitième année consécutive. Il a recueilli des informations sur 202 pays et mesuré plus de 600 critères différents sur la démocratie. Ce rapport est devenu l'une des sources les plus importantes sur l'état de la démocratie dans le monde.
Eléments clés :
Depuis 2009, la proportion de la population mondiale vivant dans des pays autocratiques a dépassé celle vivant dans des pays démocratiques. 71 % de la population mondiale, soit 5,7 milliards de personnes, vivent actuellement dans des autocraties. Cela représente une augmentation de 48 % par rapport à il y a dix ans.
La liberté d’expression reste l’indicateur de la démocratie le plus touché et se détériore dans 35 pays.
Les élections de qualité sont maintenant le deuxième composant en détérioration – se dégradant dans 23 pays et s’améliorant dans 12.
Dans ce classement, Israël sort de la catégorie des “démocraties libérales” pour la première fois en plus de 50 ans.
La répression des journalistes augmente dans 36 pays, comme l’Algérie, l’Inde, la Hongrie et la Pologne.
Le déclin est le plus significatif en Europe de l'Est, en Asie du Sud et en Asie centrale.
L’Afrique est la troisème zone la moins démocratique, derrière le Moyen-Orient (1er) et l’Asie centrale (2e).
L'Amérique latine et les Caraïbes vont à l'encontre de la
tendance mondiale : les niveaux de démocratie y augmentent et les grands pays sont plus démocratiques que les petits.
The Global State of Democracy 2023 - IDEA
Depuis 1975, l’International Institute for Democracy and Electoral Assistance (International IDEA), une organisation intergouvernementale (35 pays) dont le mandat est de soutenir la démocratie dans le monde, publie un rapport sur l’état de la démocratie.
Eléments clés :
Le monde connaît une récession démocratique depuis au moins six ans.
Des reculs notables dans toutes les régions du monde en matière de représentation (notamment élections crédibles et parlement efficace) et d'État de droit (avec des reculs en matière d'indépendance judiciaire particulièrement).
Dans la catégorie “Droits”, il y a une stagnation à un faible niveau dans la plupart des régions du monde. De nombreux pays ont connu un recul de la liberté d'expression et de la liberté de réunion et d'association, souvent lié à une détérioration de la sécurité.
Après de nombreuses années de stagnation des niveaux de corruption, des améliorations ont été constatées dans les pays suivants : Angola, Bénin, Burundi, Kazakhstan et le Mexique.
La catégorie la plus encourageante est celle de la la participation, où les
les scores sont restés étonnamment élevés même dans les pays avec un faible niveau de démocratie. Cela rappelle que participation n’équivaut pas à pouvoir de décision.
Etat des sociétés civiles - CIVICUS
Chaque année depuis 14 ans, Civicus, alliance internationale d’acteurs de la société civile, revient sur l’année pour examiner les tendances des actions de la société civile, à tous les niveaux et dans tous les domaines, depuis les réponses aux conflits et les luttes pour la démocratie, l’inclusion et la justice climatique jusqu’aux demandes de réforme de la gouvernance mondiale.
Eléments clés :
Une personne sur six est actuellement exposée à un conflit. Les décès liés aux conflits atteignent un niveau sans précédent depuis des décennies, avec une augmentation de 62% des victimes civiles en 2023.
Les dépenses militaires mondiales ont atteint le chiffre record de 2.200 milliards de dollars.
La société civile lance partout les appels les plus pressants en faveur
d’un changement urgent en matière climatique, mais en 2023, l’activisme des défenseurs de l’environnement a été confronté à une répression croissante.
“On ne peut pas faire confiance aux leaders technologiques pour s’autoréguler. Les États ne peuvent pas non plus être laissés seuls pour fixer les règles, car certains sont enclins à exploiter les technologies émergentes à des fins répressives. La société plaide en faveur d’une réglementation transnationale sur le sujet.”
Crédit : Steve Bandoma - Power and fear, 2017
POINTS CHAUDS
Credit photo : Steve Bandoma - Stealing my childhood (2015)
INDE
Les élections législatives ont lieu du 19 avril au 1er juin. Le parti du Premier ministre Narendra Modi, qui brigue un troisième mandat consécutif, est donné favori. Pour certains, l’Inde a définitivement tourné le dos à l’idée d’un Etat laïc depuis la prise de pouvoir de Modi pour devenir un Etat hindouiste. Pour certains analystes, le pays est même devenu ségrégationniste. Le chercheur Christophe Jaffrelot, spécialiste de l’Inde, souligne les nombreux dysfonctionnements du processus électoral : une période électorale de 6 semaines permettant à Modi de parcourir le pays et battre campagne ; des machines électroniques de vote très critiquées ; une commission électorale décriée ; une couverture médiatique largement déséquilibrée… Si les opposants essayent de s’unir et faire front contre ce qu’ils qualifient de dictature, la crédibilité des partis d’opposition (souvent dirigés par des clans familiaux) est faible. Narendra Modi promet la stabilité économique et la croissance pour rattraper et dépasser la Chine rivale. Malgré la répression et des lois limitant le soutien financier aux ONG, les résistances au projet autoritaire et nationaliste de Modi sont nombreuses. Les militants bouddhistes Ladakhis se mobilisent par la grève de la faim pour obtenir le statut constitutionnel d’Etat ; les ramasseurs de déchets obtiennent des avancées judiciaires leur donnant davantage de droits ; les combats contre les gigantesques projets d’usines nucléaires se poursuivent…
INDONESIE
L’ancien général Prabowo Subianto, favori des sondages, a largement emporté l’élection présidentielle dès le premier tour avec 58,6 % des voix. Plus de 164 millions d’Indonésiens se sont rendus aux urnes sur 204 millions d’inscrits, soit un taux de participation de 80%. Le nouveau président est accusé de violations des droits humains sous la dictature de Suharto et fait peser un risque majeur sur une démocratie déjà malmenée par les deux mandats successifs du président sortant, Joko Widodo (dit Jokowi). Ce dernier a émis l’idée d’amender la Constitution pour accomplir un troisième mandat, de prolonger le second pour compenser les « deux années perdues » à cause de l’épidémie de Covid et même de repousser la date de l’élection afin de mener à terme ses principaux projets. Mais la société civile et l’opposition ont eu raison de ces volontés, pour l’instant… Car le vice-président de Prabowo n'est autre que le fils aîné de Jokowi, Gibran Rakabuming Raka, ce qui fait peser le risque d’une dérive dynastique à la tête de l’Indonésie. Agé de 73 ans et ayant déjà montré des signes de santé défaillante, Prabowo pourra-t-il achever son mandat ? Quoi qu’il en soit, le président devra composé avec une assemblée dirigée par l’opposition.
Le pays connaît une forte croissance (plus de 5% par an). L’Indonésie est le plus grand producteur de nickel mais le minerai a vu son cours chuté de 30 % en 2023 et l’archipel fait face à de graves difficultés financières. L’exploitation du nickel a provoqué de nombreux dégâts : dépendance économique à la Chine, saccage de l’environnement, accidents mortels…
Le pays reste marqué par un conflit violent entre les forces armées indonésiennes et les groupes armés indépendantistes de Papouasie. La Commission indonésienne des droits humains a recensé, depuis le mois de mars, au moins douze affrontements violents dans cette région, lesquels ont tué cinq membres des forces de l’ordre et trois civils.
L’Indonésie est à la croisée des chemins et au coeur des enjeux géopolitiques du Pacifique. Elle n’est pas seulement le plus grand pays de l’Asean, mais aussi le plus grand pays à majorité musulmane du monde, fort de quelque 280 millions d’habitants (4e pays le plus peuplé au monde). Malgré une transition démocratique réussie depuis 1998 et un montée en puissance de la géostragégie “indo-pacifique” à l’échelle internationale, le pays suscite peu d’intérêts : pourquoi une telle indifférence à l’égard de l’Indonésie ?
Pour finir - la citation
Leszek Kolakowsi (historien polonais, 1927-2009) dans L’esprit révolutionnaire (1978) :
« Le règne de l’argent représente la démocratisation de l’inégalité, c’est-à-dire la réduction des inégalités à des différences purement quantitatives. »