Democrazy #17 - Autocrates et élections / Démocratisation du système international / Points chauds : Togo, Afrique du Sud.
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Au sommaire
Question - Pourquoi les autocrates organisent-ils des élections ?
Focus - La démocratisation du système international
Points chauds : Togo, Afrique du Sud
Crédits des photos : Gustavo Germano - Ausencias. Un travail photographique magnifique sur les disparitions forcées sous les dictatures en Argentine, au Brésil, en Uruguay et au Chili.
Pourquoi les autocrates organisent-ils des élections ?
Les récentes élections en Russie et en Azerbaïdjan ont fait resurgir une question importante des analyses sur les régimes autocratiques : pourquoi les autocrates organisent-ils des élections ? Voici quelques élements de réponse.
La première est qu’une élection dans un système verrouillé ne sert pas seulement à obtenir des voix, il s’agit d’une démontration de force à destination de l’étranger et des potentiels opposants. Il s’agit aussi de décourager, démoraliser et saper les dynamiques de contestation de l’opposition ou de la société civile.
Les autocrates, même les plus puissants, sont toujours en alerte, souvent inquiets d’un coup d’Etat ou d’une révolution. Ils organisent des élections pour se rassurer, ce que le sociologue Greg Yudin a qualifié pour la Russie de Poutine de : “régime du plébisicite constant”.
Organiser des élections, c’est aussi une manière de donner le change au niveau international, en respectant à peu de frais les dispositions constitutionnelles établies. Mais, les partis, les parlements, élections, etc. dont se dotent fréquemment les régimes autoritaires remplissent des fonctions qui n’ont rien de commun avec le rôle que ces institutions jouent en démocratie. Un Etat organisant des élections serait ainsi perçu comme moins autocratique par la communauté internationale car respectant un des standards attendus d’une démocratie représentative. C’est aussi faire croire, comme décrit ici pour l’Azerbaïdjan, à l’existante d’une prétendue opposition.
Construire des institutions et organiser des scrutins calqués sur les modèles de la démocratie représentative est un moyen de réguler les conflits intra-élites, de récompenser les fidèles et d’éviter que des tensions n’entraînent l’implosion du régime. Dans un régime fermé, les élections permettent de valider et conforter l’équilibre des pouvoirs en présence. Pour cela, il est nécessaire de développer une ingénérie de la fraude et de la manipulation. C’est ce qu’expliquent les chercheurs Nick Cheeseman et Brian Klass dans un ouvrage intitulé How to rig an election ? (Comment truquer une élection?).
Les élections servent enfin aux intérêts des soutiens extérieurs des régimes autocratiques. Ainsi, mettre en place le “théatre démocratique” permet aux puissances étrangères de maintenir l’illusion selon laquelle tel ou tel partenaire serait peu ou prou acceptable du point de vue des droits humains.
Finalement, tout cela nous rappelle que le vote n’est pas l’essence de la démocratie et qu’il existe une distinction fondamentale entre la nature et le type de régime politique.
Crédit : Gustavo Germano - Ausencia Brasil
Démocratiser le système international ?
La montée en puissance des BRICS et l’ancrage d’un monde multipolaire conduit à une remise en question de plus en plus forte du système international actuel. Les pays du Sud ont “volonté d’accéder enfin à la gouvernance du monde” (Bertrand Badie) et de désoccidentaliser les relations internationales. Pour les auteurs Didier Billion et Christophe Ventura, le mouvement de desoccidentalisation du monde est à l’oeuvre sur le temps long et monte en puissance en même temps que l’impérialisme occidentale décline.
Mais, derrière une rhétorique de solidarité Sud-Sud, la coopération entre les BRICS est-elle véritablement porteuse de démocratisation du système international ? Pour Laurent Delcourt, en réalité les BRICS renforcent le modèle extractiviste et amplifie les asymétries mondiales. Face à cela, il propose de refléchir aux bases d’un nouvel internationalisme.
“Que quarante pays aient exprimé leur intérêt à rejoindre les BRICS, en plus des vingt pays qui ont officiellement déposé leur candidature avant le sommet de Johannesburg, est significatif. Cela illustre combien le rejet de l’ordre international dominé par l’Occident est profond dans le reste du monde, tout comme l’attrait pour un monde multipolaire. Il faut en tenir compte.” - Laurent Delcourt
Dans un très bon article du CETRI, quatre militant.e.s internationalistes des Suds affirment que la “multipolarité” fait aussi office de leitmotiv des nouvelles puissances autoritaires, servant à déguiser leurs propres pratiques capitalistes et impérialistes en alternative à l’hégémonie occidentale.
Si des acteurs essaient de changer le système international de l’extérieur, d’autres tentent d’obtenir des avancées à travers des réformes du système onusien actuel. Ainsi, l’association Democracy Without Borders propose de créer un nouveau mandat de rapporteur spécial de l’ONU sur la démocratie. D’autres mouvements appuient depuis de nombreuses années des réformes fiscales pour un système plus juste. Cela passe notamment par la création d’un organisme fiscal intergouvernemental sous les auspices de l’ONU, où tous les Etats pourront participer sur un véritable pied d’égalité. Mais est-il possible de réformer l’ONU pour rendre son fonctionnement plus démocratique ? Sans réforme du droit de véto au Conseil de sécurite, cela semble illusoire. Kofi Annan avait proposé à la fin de son mandat une suspension du droit de veto quand sont discutées des situations où des crimes de masse sont en cours, initiave soutenue par une majorité des États membres de l’ONU. Pour l’instant cette proposition est restée lettre morte.
POINTS CHAUDS
Credit photo : Gustavo Germano - Ausencia Uruguay
TOGO
Les députés togolais ont adopté, lundi 25 mars dans la soirée, une nouvelle Constitution changeant l’actuel régime présidentiel en régime parlementaire, donnant désormais le pouvoir au Parlement d’élire le président de la République. Une manoeuvre bien ficelée et inconstitutionnelle pour maintenir Faure Gnassingbé au pouvoir dont la famille dirige le pays depuis 1967. La conférence des évêques a exprimé ses réserves. L’opposition et la société civile s’organisent aussi face à ce “coup d’Etat constitutionnel" mais la répression s'abat déjà sur les voix discordantes. Le Front citoyen Togo Debout appelle à une manifestation pour empêcher le président de République de promulguer la nouvelle constitution. Pour l’historien togolais Michel Goeh-Akue, la nouvelle constitution est « faite pour que Faure Gnassingbé ait le pouvoir à vie » comme « dans un système monarchique » : « les dés sont pipés à l’avance » soulignant que l’opposition « n’a pas beaucoup de chances pour les élections législatives et régionales du mois prochain tant le système est verrouillé ». Ce sentiment de verrouillage ressort aussi de la dernière étude d’Afrobaromètre ; les Togolais veulent toujours des élections mais sont peu convaincus de leur efficacité et que moins de la moitié des citoyens font confiance à la Commission Electorale Nationale Indépendante. Dans une Afrique de l’Ouest où la demande de souveraineté est forte, le régime de Lomé a su doter le président Faure d’une stature de médiateur régional entre les régimes militaires en rupture avec la CEDEAO et les autres Etats. Dans cette tentative de récupération du panfafricanisme, Lomé accueillera fin octobre le 9ème Congrès Panafricain et fait écho à l’alerte de Walter Rodney en 1974 avec des congrès réunissant “les porte-parole des Etats d'Afrique et des Caraïbes qui, à bien des égards, représentent la négation du panafricanisme.”
AFRIQUE DU SUD
Le 29 mai 2024, l'Afrique du Sud se rendra aux urnes. La plupart des observateurs s'attendent à ce que, pour la première fois, le Congrès national africain (ANC) doivent renoncer à sa majorité absolue. Cela conduirait à la mise en place, pour la première fois, d’un gouvernement de coalition. Pour cela, il est possible de s’inspirer du Lesotoho voisin où des gouvernements de coalition ont été mis en place en 2012, 2015, 2017, 2020 et 2022, avec trois partis politiques différents qui se sont succédé au poste de premier ministre.
Ce jeudi 28 mars, la commission électorale a exclu l’ex-président Jacob Zuma des prochaines élections. Zuma est le symbole d’une classe politique gangrénée par la corruption et l’affairisme. Par ailleurs, les coupures d’électricité sont devenues récurrentes et les problèmes d’accès à l’eau se multiplient à travers le pays, alimentant la défiance des habitants envers les autorités, notamment vis-à-vis de l’ANC au pouvoir depuis la fin de l’apartheid. La crise de l’électricité est une véritable catastrophe pour plus de 60 millions de Sud-Africains obligés de cuisiner, laver leur linge et recharger leur téléphone à certaines heures de la journée seulement. Cette enquête sur Eskom nous permet de comprendre ce qui a conduit la compagnie d’électricité créée en 1923 à cette grave crise.
Pour finir - la citation
Jacques Rancière (philosophe français, né en 1940) dans La haine de la démocratie (2005) :
« La démocratie ne s’identifie jamais à une forme juridico-politique. Cela ne veut pas dire qu’elle soit indifférente à leur égard ».