Democrazy #16 - Films sur le Congo / Démocratie alimentaire / Points chauds
L'actualité des démocraties et des engagements citoyens
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Au sommaire
Voir - Trois documentaires sur la guerre dans l’Est de la RD Congo
Focus- Face à la crise agricole, la démocratie alimentaire
Points chauds : Ghana, Iran
Crédit : Chéri Chérin - Démon Cratie (2000)
Trois documentaires sur les guerres à l’Est du Congo
RDC - M23, la guerre sans fin
Peu de documentaires ont pu montré la guerre terrible et oubliée qui frappe l’Est du Congo. On parle de 6 millions de morts depuis 1996. Depuis deux ans, la milice du M23 est repartie à l’offensive dans l'Est de la République Démocratique du Congo avec, selon l’ONU, le soutien du Rwanda voisin. Ce groupe armé contrôle une partie de la région du Nord-Kivu, massacre et expulse les civils et livre une guerre sans merci aux autorités. Une équipe de journalistes a pu se rendre sur place, sur le front aux côtés des combattants du M23, mais aussi au cœur des territoires et des villes qu’ils contrôlent.
L’empire du silence
Le drame de la République Démocratique du Congo, c’est le silence qui règne autour de ces conflits sans fin. Auteur de nombreux films sur ce pays, le réalisateur belge Thierry Michel s’attache dans un documentaire-bilan “L’empire du Silence“ à briser enfin l’omerta. Le cinéaste belge souhaite rendre justice aux millions de morts et sensibiliser l’opinion publique sur tous ces crimes impunis : “Pour que les victimes ne meurent pas une seconde fois”. Le film est accessible ici.
Caoutchouc rouge, Rouge coltan
Ce film d'animation, original et émouvant, est le résultat de cinq années de travail, de nombreuses recherches, lectures et rencontres. Le fil rouge de cette histoire, c'est une jeune fille belge d'origine congolaise. Pour un travail scolaire, elle entreprend des recherches sur le coltan, ce matériau essentiel à la fabrication de nos téléphones portables. Par ce biais, elle remonte le fil de l’histoire coloniale, avec ses crimes et ses résonances actuelles. Le caoutchouc qui a attisé toutes les convoitises est remplacé aujourd'hui par le coltan qui n’en attire pas moins. Ce documentaire est un outil de sensibilisation précieux.
Crédit : Untitled - Keith Harring (1988)
De la démocratie alimentaire
Les questions agricoles occupent l’espace médiatique depuis déjà plusieurs semaines en Europe. En filigrane, une interrogation : comment réinventer l’agriculture ? Une des réponses à cette question consiste à la poursuite d’une démocratie alimentaire. Ce concept est conceptualisé pour la première fois par le britannique Tim Lang, professeur émérite de politique alimentaire à l’Université de Londres. Les systèmes alimentaires épuisent les écosystèmes, conduisent à des problèmes de santé (diabète, obésité, cancers…) et dépendent de spéculations sur les marchés ou d’aléas géopolitiques ; la démocratie alimentaire permet de répondre à ces enjeux multiples.
“La démocratie alimentaire traite de la transformation des structures établies au sein du système alimentaire. De ce point de vue, le système alimentaire doit être reconstruit en adoptant des principes et des pratiques démocratiques, c'est-à-dire que les acteurs doivent reprendre le contrôle démocratique du système alimentaire afin de permettre sa transformation durable.” - Tim Lang (2021)
Il ne s’agit pas seulement d’une “démocratie du porte-monnaie”, de passer de consommateurs à “consomm’acteurs” mais de penser l’alimentation comme un bien commun et un droit humain fondamental. Il s’agit bien de reprendre la main collectivement sur l’enjeu fondamental de l’alimentation saine pour tous. Finalement, comme le résume l’article de Said Alahyane pour la revue Projet, construire une démocratie alimentaire c’est répondre à l’interrogation : “Comment contrer “Big food” ?
Dans un entretien pour le média “démocratieS”, Nicolas Bricas, socio-économiste de l'alimentation, propose : “ D’abord, à une échelle locale, on peut imaginer des centaines de conventions citoyennes de l’alimentation. Dans un second temps, à une échelle nationale puis européenne, un grand débat de synthèse sur la base de ce qui remonte des territoires et qui pourrait poser les bases d’un nouveau contrat social.”
La démocratie alimentaire passe aussi par une Sécurité sociale de l'alimentation, projet porté en France par différentes organisations de la société civile depuis 2017, visant à assurer conjointement un droit à l'alimentation, des droits aux producteurs d'alimentation et la protection de l'environnement. Alors qu’en France 8 millions de personnes, c'est à dire près de 12% de la population ont recours à l’aide alimentaire, la proposition de créer une nouvelle branche de la sécurité sociale dédiée à l’alimentation fait son chemin.
Ce combat pour une démocratisation des systèmes alimentaires n’est pas seulement l’apanage d’organisations françaises. Dès 2014, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter, appelait à une démocratie alimentaire ascendante, partant des villages, des régions, des villes et des municipalités vers un niveau plus global :
Olivier De Schutter - “Le plus grand déficit dans l’économie alimentaire est d’ordre démocratique. Si nous misions sur les connaissances des gens et si leurs besoins et préférences étaient mieux pris en compte dans l’élaboration de politiques alimentaires à tous niveaux, la transition vers des systèmes alimentaires durables s'en trouverait grandement facilitée ».
POINTS CHAUDS
Credit photo : Jean-Michel Basquiat - Liberty (1983)
GHANA
Au Ghana, le Parlement a durci la loi contre les homosexuels, prévoyant la pénalisation des personnes et mouvements LGBTQI. Les députés ont adopté une législation qui, si elle est ratifiée, exposerait à une peine allant jusqu’à trois ans de prison toute personne s’identifiant comme LGBT + et jusqu’à dix ans pour celles qui se rendraient coupables de « campagnes LGBT + à destination des enfants ». Cette initiative parlementaire s’inscrit dans ce qu’Elizabeth S. Corredor, qualifie de politique d’anti-genre, c’est-à-dire la manière dont les mouvements conservateurs mobilisent l’« idéologie du genre » comme instrument politique. La revue Politique Africaine a consacré un numéro complet à “L’anti-genre en Afrique”. L’anti-genre est largement financé par les mouvements d’extrême-droite et conservateurs des Etats-Unis, comme le rappelle l’article ci-dessous de The Continent ou cet article sur l’Ouganda et le Kenya.
Suite à ce vote à l’assemblée, le Ghana fait face à une menace de représailles économiques par la Banque mondiale. Rien que pour cette année, le Ghana pourrait perdre environ 780 millions d’euros, issus de fonds internationaux. La suspension de ces aides internationales pourrait aggraver une situation économique déjà dégradée (voir la vidéo ci-dessous). De nombreux Ghanéens seraient également sceptiques à l'idée que le pays organise les Jeux panafricains (du 8 au 23 mars) alors que les difficultés financières s’accumulent.
IRAN
Les élections législatives ont eu lieu le 1er mars, les premières depuis le soulèvement “Femme, vie, liberté”, ont été marquées par le taux de participation le plus faible depuis la proclamation de la république islamique, en 1979. Pour certains, il s’agit là d’une révolte silencieuse dans un espace politique complètement verrouillé. Les élections se sont soldées par une sans surprise une victoire des conservateurs.
Selon le rapport d’Iran Human Rights (IHR) et Ensemble contre la peine de mort, l’Iran a exécuté au moins 834 personnes en 2023, un nombre sans précédent depuis 2015.
Un rapport du Conseil des droits de l’homme des Nations unies reconnaît que des “crimes contre l’humanité” ont été commis lors de la violente répression du mouvement de contestation déclenchée en septembre 2022. Malgré cette violence, pour l’actrice Golshifteh Farahani : « Le mouvement Femme, vie, liberté ne peut pas être réprimé ».
Un peu d’autopromotion
Je vous partage ici mon dernier papier pour Afrique XXI : « Les talk-show, l’Afrique et l’influence de la France ». Je m’essaie à une analyse du traitement des actualités du continent africain dans les émissions télévisées de débat les plus suivies en France. L’actualité du continent a été riche en 2023, et elle a (parfois) fait l’objet de débats sur les chaînes de télévision françaises. Mais ceux-ci, répondant à des mécanismes bien rodés et à la volonté de ne jamais sortir des clous, invitent souvent les mêmes intervenant·es et adoptent généralement un prisme franco-centré. Revue de détail.
Pour finir - la citation
David Graeber (anthropologue et militant anarchiste, 1961-2020) dans La démocratie aux marges (2014) :
« L’expérience qui est aujourd‘hui la nôtre n’est pas celle d’une crise de la démocratie mais d’une crise de l’Etat. Si l’on a pu assister ces dernières années, au sein des mouvements altermondialistes, à un regain d’intérêt pour les pratiques et les procédures démocratiques, cela s’est opéré presque entièrement hors des cadres étatiques. L’avenir de la démocratie se joue précisément dans ses espaces.»