Democrazy #14 - Jeux Olympiques / Extrême-droite / Points chauds : Soudan et Etats-Unis
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Au sommaire
Focus - Les mégaévènements sportifs et leurs impacts
Focus - Ce que l’extrême droite inflige déjà aux démocraties
Points chauds : Etats-Unis et Soudan
Crédit photo : Richard Eriksson - Contestation des JO de Vancouver.
Mégaévènements sportifs et démocratie
Athènes accueille les premiers Jeux olympiques modernes en 1896 avec 14 pays représentés par 240 athlètes. Dès sa première édition, la question géopolitique s’invite dans les débats : l’ Empire ottoman boycotte les Jeux organisés par les Grecs. S’en suit alors une longue série de boycott des Jeux olympiques et d’affrontements géopolitiques.
Les méga-évènements sportifs sont aussi contestés au niveau national, notamment à cause de la pression foncière qu’ils engendrent, au détriment des plus pauvres. Pour l’ancien athlète et politiste Jules Boykoff : « Les JO, c’est l’économie du ruissellement inversé ». Devenus une force économique avant d’être un événement sportif, les JO engendrent un processus d’accumulation du capital considérable avec un coût systématiquement sous-évalué, un espace public militarisé, des équilibres sociaux déstabilisés et des écosystèmes menacés. La manne financière de Paris 2024 charrie déjà ses premières affaires de corruption.
En Seine-Saint-Denis, les habitant.es "se battent pour que les JO 2024 ne soient pas en défaveur des habitants". Dans une lettre précédente nous parlions du travail de contre-cartographie face au rouleau compresseur de l’aménagement urbain. Les habitant.es de la Seine-Saint-Denis vivent depuis plusieurs années dans les chantiers, au sujet desquels ils et elles n’ont pas été consulté.es. Si un vote s’était tenu sur l’organisation des JO à Paris, il est fort probable que comme à Budapest, Boston ou Hambourg, les citoyens auraient voté contre. Ces jeux présentés comme une grande fête populaire sont largement inaccessibles aux plus modestes ; la majorité des places pour les finales d’athlétisme au Stade de France sont vendues entre 385 et 690 euros l’unité. Avec des étudiants chassés de leur logement ou des personnes sans-abri déplacés loin des événements, les JO de Paris s’accompagnent d’une logique d’invisibilisation des plus pauvres.
Les coûts des JO explosent depuis une trentaine d’années avec des installations souvent impossibles à maintenir en bon état. Les JO d’Athènes en 2004 en sont le pire exemple récent. 20 ans après, un sentiment de gâchis prédomine avec les fameux "éléphants blancs", ces installations olympiques sont devenues un fardeau financier. Il faudra attendre quelques années avant de faire le bilan pour Paris mais la municipalité est déjà endettée à 4 milliards d’euros pour assumer l’organisation des Jeux Olympiques d’été. A Rio de Janeiro le budget de l’évènement sportif avait finalement doublé entre le prévisionnel et le réalisé !
De nombreuses études ont montré l’accélération des procesuss de gentrification par les méga-évènements sportifs. A Rio de Janeiro, la coupe du monde de football en 2014 et les JO de 2016 ont conduit à une occupation militaire et policière des favelas situées à proximité des sites sportifs. Cette « pacification » des bidonvilles s’est accompagnée de projets immobiliers importants et d’une gentrification causée par l’augmentation brutale des prix de l’immobilier. Pour la favela de Vidigal, située dans la zone sud (la plus riche de la ville) et à proximité immédiate de la plage, entre 2008 et 2016, le prix du m2 a connu une augmentation de 568,4%. Le résultat de ce processus est, inexorablement, une ville plus inégalitaire. Pour comprendre ce phénomène de financiarisation de l’espace urbain, il suffit de se pencher sur ce qu’est devenu le quartier olympique à Rio de Janeiro comme le fait la chercheuse Andréa Acioli :
« 75% de ses terrains ont été remis à des promoteurs pour faire place à des logements privés, des tours de bureaux, des hôtels et des centres commerciaux. Les 25% restants étaient des installations permanentes qui ont été utilisées comme centre d'entraînement olympique géré par le Comité Olympique Brésilien (COB) pour les athlètes d'élite. Ces dernières années, le parc olympique a accueilli d'autres événements majeurs tels que le Rock in Rio en 2017 et 2019 ».
Crédit photo : Midia Ninja - Manifestation à São Paulo contre la coupe du monde 2014.
A Paris, le processus de gentrification est déjà en cours depuis de nombreuses années et s’étend à de nombreuses villes de banlieue. Les JO ont une influence sur l’ensemble des cadres sociaux et économiques des territoires impliqués avec des effets particulièrement importants sur la structuration de l’offre de logement. La « course contre-la-montre » conduit à « un état d’urgence aménagiste » au service d’un vaste plan de développement urbain sans participation des habitant.es.
Dans une édition récente consacrée à la bulle immobilière, Libération s’interrogeait sur les constructions immobilières des JO de Paris : « Les promoteurs du village olympique ont-ils eu les yeux plus gros que le ventre ? Lancée cet été, la commercialisation des appartements où logeront les athlètes pendant les Jeux connaît des débuts poussifs, loin des promesses d’eldorado de cet «écoquartier fluvial» érigé en vitrine mondiale du BTP français. Icade, filiale de la Caisse des dépôts, n’a réussi à vendre qu’une «dizaine» des 88 appartements qu’elle a mis en vente en juillet, selon un cadre du groupe. Pour Vinci, le bilan est un peu plus flatteur, à en croire son site internet : 78 appartements ont trouvé preneur, mais il en reste encore une petite centaine à écouler ».
Concernant la militarisation de l’espace public, Paris sera un espace d’innovation technologique. D’autant plus que la dernière édition à Tokyo, marquée par le Covid-19, n’avait pas permis le déploiement de certaines technologies comme la reconnaissance faciale. En prévision des JO, la SNCF a testé plus d’une dizaine d’algorithmes de vidéosurveillance et alors qu’un marché public sur la vidéosurveillance algorithmique a déjà été ouvert pour les caméras, le ministère de l’intérieur s’interroge sur un second appel d’offres pour installer ces logiciels sur des drones.
Pour la démocratie, les évènements sportifs majeurs sont donc problématiques à maints égards. Il est d’autant plus difficile de penser la critique de ces évènements que le sport se pare d’un écran de discours préconstruits ou passionnés qui bloque la réflexion scientifique. Les médias sportifs, notamment ceux ayant achetés à prix d’or les droits de retransmission des compétitions, produisent peu d’enquêtes ou d’analyses sur le sport en tant que fait social.
En 1998, Pierre Bourdieu disait à ce propos : « Il est difficile de parler scientifiquement de sport parce que c’est, en un sens, trop facile : il n’est personne qui n’ait sa petite idée sur le sujet et qui ne se sente en mesure de tenir des propos qui se veulent intelligents. »
Ce que l’extrême droite fait à la démocratie
Selon les sondages, les partis identitaires et "anti-européens" sont en passe de réaliser des gains importants lors des élections européennes de juin, ce qui pourrait faire basculer l'équilibre du Parlement davantage vers la droite. Les partis d’extrême-droite pourraient arriver en tête ou en seconde position dans de très nombreux pays européens : en Autriche, en Belgique, en République tchèque, en France, en Hongrie, en Italie, aux Pays-Bas, en Pologne et en Slovaquie, en Bulgarie, en Estonie, en Finlande, en Allemagne, en Lettonie, au Portugal, en Roumanie, en Espagne et en Suède… La lame de fond est évidente ; assiste-t-on à un tournant à l’image de l’année 1934 décrite par l’historien Matthieu Boisdron ?
La présence au pouvoir de partis d’extrême droite en Europe ou leur puissance dans le jeu politique a des effets notables et durables sur les systèmes démocratiques. En Italie, annoncé en juin, le remplacement de tous les étrangers qui dirigeaient des grands musées italiens est désormais chose faite. Un retour à la préférence nationale assumé malgré les précautions oratoires d’usage.
En France, la descente de 80 militants d’extrême-droite dans le quartier populaire de la Monnaie, à Romans-sur-Isère, une semaine après la mort d’un jeune homme de 16 ans au cours d’un bal dans la même commune, a montré l’impunité qui règne au sein des groupuscules identitaires. Ces évènements ont aussi montré qu’au “bruit des bottes” répond le silence des pantoufles. Parmi eux, les Active Clubs, issus d’un mouvement né aux États-Unis il y a quelques années, ces groupes formés aux arts martiaux mêlent suprémacisme blanc, ultra-nationalisme et fantasmes néonazis. Le journaliste Ricardo Parreira a enquêté sur leurs fondements et leurs manifestations récentes.
Crédit photo : Colorful Germany - Berlin descend dans la rue contre le racisme.
En Allemagne, plus de 1,4 million de personnes ont manifesté contre le parti d’extrême droite AfD. Ces mobilisations font suite à la révélation par le média d’investigation « Correctiv » d’une réunion d’extrémistes à Potsdam, où, en novembre, un projet d’expulsion massive de personnes étrangères ou d’origine étrangère a été discuté. Dans le pays, la remise du prix de l’anti-mot est un moment politique important; cette année l’anti-mot de l’année est “remigration”. Le jury justifie son choix par les arguments suivants: « Il s’agit tout d’abord d’un euphémisme, une forme linguistique visant donc à atténuer, adoucir une réalité par trop brutale – ici le projet d’expulser par la force, voire de déporter de façon massive des personnes vivant en Allemagne et issues de l’immigration.»
Dans les médias européens, les thèmes et les mots de l’extrême droite se diffusent désormais bien au-delà des seuls médias identitaires. En démasquant le vocabulaire insidieux de l’extrême-droite, ce jury s’inscrit dans les pas du travail majeur du linguiste Victor Klamperer sous le nazisme.
Alors qu’Emmanuel Macron parle de réarmements civique, moral et démographique, de plus en plus d’auteurs se penchent sur ce que le langage et les discours disent des basculements idéologiques de notre époque. Dans un texte résolu, le philosophe Dominique Bourg estime qu’on ne peut plus nier la dérive illibérale du gouvernement actuel.
Au-delà des mots, le journaliste américain Harrison Stetler rappelle qu’Emmanuel Macron a offert une nouvelle victoire à l'extrême droite avec le projet de loi sur l'immigration. Même censuré en partie par la Cour Constitutionnelle, la loi entérine de nombreux points sur la liste des souhaits des nationalistes. Mais, la pire atteinte à la démocratie de cette loi est peut être le fait qu’elle alimente le discours de l’extrême-droite à l’encontre des contre-pouvoirs. Cette décision va en effet jeter de l'huile sur le feu de la colère des nationalistes face aux prétendues atteintes à la souveraineté parlementaire par des juges non élus.
La fondation Jean Jaurès, dans un rapport sorti il y a quelques jours, plaide pour que la bataille contre l’extrême droite se joue sur le terrain du renouveau démocratique, en cette année électorale qui verra près de la moitié de la population mondiale se rendre aux urnes dans le monde. Pour y parvenir, on peut s’aider du nouveau guide pratique à l’attention des militant·es associatifs et syndicalistes exposé·es à des menaces et violences d’extrême droite, produit par Vox Public.
POINTS CHAUDS
Credit photo : ADT / New yorker
ETATS-UNIS
Pour le think-tank centriste Telos, nous assistons au “crépuscule de la démocratie américaine”. Revanchard, assumant un programme d’attaque frontale contre l’État-providence, les étrangers et les minorités sexuelles, Donald Trump s’il était élu représenterait un risque sans précédent d’autocratisation des Etats-Unis. Avec la France, les Etats-Unis sont la seule des démocraties occidentales avec un régime présidentiel avec un chef de l’exécutif non responsable devant le Parlement. La perspective de voir Trump revenir au pouvoir est terrifiante mais Biden n’est pas un bon candidat et il risque de perdre. Alors que les primaires républicaines débutent tout juste, Joe Biden a été victime d’un deepfake audio ; un faux message du Président démocrate qui incitait les habitants à ne pas aller voter. De nombreux citoyens s’élèvent actuellement contre la politique étrangère des Etats-Unis et le soutien total du pays à la guerre et à la politique menées par Israël. Dans un entretien à Mediapart, la grande documentariste Laura Poitras résume la colère qui traverse la société américaine à ce propos. Pour le journal britannique Prospect, après l’enlisement de la guerre en Ukraine, la guerre à Gaza est un raté de plus pour Washington, qui ne peut plus se présenter comme le bouclier de la démocratie à travers le monde. Autre tâche indélébile et durable pour la crédibilité de la démocratie des Etats-Unis, la pratique de la peine de mort dans plusieurs Etats du sud du pays. La première de l’année 2024 a eu lieu à Atmore en Alabama. Kenneth Eugene Smith a été exécuté par une nouvelle méthode décriée : l’inhalation d’azote. L’exécution a duré 22 minutes, dont plus de 8 minutes de suffocation rapporte la presse locale. En 2023, 24 personnes ont été exécutées aux Etats-Unis.
SOUDAN
Depuis avril 2023, l’affrontement entre l’armée régulière d’Abdel Fattah Al-Burhan et les paramilitaires de la Force de soutien rapide (FSR) de Mohamed Hamdan Dagalo alias Hemeti a mis le Soudan à feu et à sang et forcé plusieurs millions de Soudanais à fuir leur foyer, voire à se réfugier à l’étranger. Hemeti et ses forces sont en train de gagner la guerre au Soudan et pour Ken Opalo, c’est le pire camp qui gagne.
Des accusations de crimes de guerre sont formulées contre les FSR ; pour la seule ville d’El-Geneina entre 10 000 et 15 000 personnes – des civils – ont été tuées, rapportent les experts de l’ONU dans un récent rapport. Mohamed Hamdan Dagalo est pourtant accueilli comme un vieil ami dans les capitales africaines et notamment en Afrique du Sud. La réception officielle de Hemeti (accusé de crimes contre l’humanité au Darfour) à Pretoria, le 7 janvier dernier, a suscité de vives critiques, alors que quelques jours plus tard les avocat·es mandaté·es par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice (CIJ) déployaient avec force leurs arguments à La Haye. Le 29 janvier, l'Algérie a annoncé son soutien à une solution pacifique au Soudan à l'occasion de la visite officielle de deux jours du général Abdel Fattah al-Burhan, à Alger.
Pour finir - la citation
Falmarès (poète guinéen) dans Catalogue d’un exilé :
« O je ne suis pas un Migrant !
Je suis un homme libre. Le monde est mon pays. La terre est ma demeure ».