Democrazy #12 - La bande son des révolutions / Histoire mondiale de la démocratie / Points chauds : Tchad, Chine.
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Au sommaire
Focus - La bande son des révolutions
Livres - L’histoire de la démocratie ne commence pas à Athènes
Points chauds : Tchad et Chine
Crédit photo : John Biggs - Current Affairs
Les bandes son des révolutions
Il n’y a pas de révolution citoyenne qui ne s’accompagne de chansons et de musiques emblématiques. La musique peut être tout à la fois une source de joie militante, un cri de ralliement, une critique déguisée d’un régime ou un outil de propagande. La révolution française a été marquée par l’occupation physique et sonore de l’espace public. Pour une playlist des chansons de la révolution française, il est possible d'écouter cette chronique ou de consulter cette liste. Si les grandes révolutions du XXe siècle n’ont pas toujours eu un rapport positif avec la musique, comme en témoigne cette chronologie, l’histoire contemporaine est émaillée d’exemples positifs d’émancipation par la production musicale.
Dans l’histoire contemporaine, les exemples de bandes son révolutionnaires ne manquent pas. Au Brésil, les artistes du mouvement du Tropicalisme, en revisitant la samba et la bossa nova, ont écrit les plus belles chansons de résistance à la dictature (1964-1985). Pour se replonger dans ce mouvement musical et politique, le documentaire Tropicália réalisé en 2012 par Marcelo Machado est accessible en ligne.
Les années 1950 et 1960 sont marquées aux Etats-Unis par les mobilisations pour les droits civiques. En 1955 à Montgomery, lors du boycott des bus ségrégationnistes , les longues marches s’accompagnent du chant gospel Walk Together Children.
Dix ans plus tard, c’est We shall overcome (repris notamment par Joan Baez) qui est le chant de ralliement des travailleuses noires en grève contre l’American Tobacco en 1945.
Soixante ans plus tard, le mouvement Black Lives Matter fait de la chanson Alright du rappeur Kendrick Lamar un hymne.
Au Gabon, lors de l’élection de 2009, le rap joue un rôle mobilisateur, les artistes jouant un rôle « d’infléchissement du pouvoir mettant en débat la notion de démocratie au Gabon ».
En octobre 2020 au Nigeria, le mouvement social End Special Anti-Robbery Squad #EndSARS appelle à l’interdiction de l’unité de brigade anti-vol de la police nigériane connue pour sa brutalité. Cette campagne citoyenne très active sur les réseaux sociaux utilisant le hashtag #ENDSARS s’est également appuyée sur le soutien et les chansons de grands artistes nigérians. La star mondiale Burna Boy avait qualifié le mouvement social de moment “le plus important de l’histoire du Nigéria” .
La chanson la plus emblématique du mouvement fut “Johnny” de l’artiste Falz.
Le site spécialisé sur les musiques africaines, Panafrican Music (PAM) revient également en détail sur les sons de la révolution soudanaise. Dans cette vidéo, une compilation de toutes les formes musicales qui ont accompagné cette grande révolution qui en faisant tomber Omar El-Béchir avait donné l’espoir à tout un peuple.
LIVRES - L’histoire de la démocratie ne commence pas à Athènes
De plus en plus de travaux tentent d’écrire une histoire globale de la démocratie. En d’autres mots, cette école tente de décentrer ou désoccidentaliser les récits historiques autour de l’émergence et du déclin de régimes démocratiques. Il s’agit aussi de sortir d’une définition figée et limitée de la démocratie pour revenir à une vision plus large :
“L’idée démocratique, en son origine, ne concerne pas simplement la mise en place d’un régime. C’est d’abord l’idée d’une certaine forme de société, dans laquelle les hommes et les femmes ne sont plus soumis à des formes de domination sociales et politiques considérées comme insupportables – que ces formes de domination prennent l’aspect de pouvoirs déréglés, de l’aliénation économique ou des diverses figures de l’esclavage” - Pierre Rosanvallon
David Stavage, professeur à l’Université de New York, et qui a écrit un ouvrage d’histoire globale sur la démocratie The decline and rise of democracy, rappelle que :
« Des formes anciennes de démocratie étaient courantes au sein des sociétés humaines ; en fait, elles l’étaient autant que les autocraties… Nous devons aussi en finir avec l’idée que la démocratie a été inventée en un lieu donné à une époque précise avant de se diffuser ailleurs ».
Dans le livre The secret history of democracy des historiens témoignent de formes pré-athéniennes de démocratie en Mésopotamie, en Inde et en Chine. À l’époque antique, la démocratie s’épanouit dans le cadre de la cité, c’est-à-dire une communauté de citoyens qui forme un tout indivisible, ce qu’expérimentent aussi les villes phéniciennes disposaient de système d’élection et de contre-pouvoirs élaborés. La préservation de documents écrits sur Athènes a permis la transmission de la philosophie et de l’histoire de cette expérience démocratique. Au Mexique, la riche cité de Teotihuacan (Ier s. av. J.C-VIe s.., la plus grande du continent à l’époque, pourrait, contrairement à l’empire Maya voisin, avoir été régie par des principes de gouvernance collective proche d’une république.
Crédit photo : Guity Novin - Navajo painting
D’autres auteurs comme David Graber dans The Democracy Project : a history, a crisis, a movement et dans Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité vont dans ce sens et listent un certain nombre de sociétés régies par des principes démocratiques et souvent oubliées. En Europe, alors que la généalogie classique de la démocratie fait un saut de la chute de l’Empire romain jusqu’à la montée en puissance du parlement anglais au XIIe siècle, il ressort que pendant le Moyen-Age à Venise ou en Islande des formes démocratiques existaient. Certaines tribus aborigènes ou amérindiennes reposent aussi sur des principes d’équilibre et de libre-arbitre. Ces dernières années de nombreux articles ont par exemple été publié sur les formes de gouvernement démocratique des Navajos, plus grand peuple autochtone des Etats-Unis. La royauté Kongo qui occupa une partie de l’Angola, de la RDC et du Congo actuels à partir du 14e siècle était par exemple élective alors que les puissances coloniales qu’elles rencontrera par la suite étaient absolutistes. Il s’agit avec ces exemples de sortir aussi de l’idée que la démocratie serait uniquement occidentale.
POINTS CHAUDS
Credit photo : YACOUB DOUNGOUS - Place de la nation -N’djamena - Tchad
TCHAD
Le Tchad figure parmi les pays les plus autoritaires au monde. Dirigé par Mahamat Idriss Déby depuis avril 2021 suite à un coup d’Etat militaire et constitutionnel, il a succédé à son père (Idriss Deby Itno) qui avait dirigé le pays de manière tyrannique pendant 31 ans. Régime soutenu à bout de bras par la France, le magazine The Economist s’interrogeait : le Tchad sera-t-il le prochain allié de la France à tomber en Afrique ? Régime kleptocratique par excellence, le pouvoir s’enrichit et la population trinque :
Selon un rapport de l’Africa Center for Strategic Studies - “Le revenu par habitant du Tchad, qui s’élève à 590 dollars, est équivalent à ce qu’il était en 2004, l’année qui a suivi le début de l’exploitation du pétrole. […]. Moins de 10 % de la population a un accès régulier à des installations sanitaires de base et à l’électricité. Seul un adulte sur cinq sait lire et écrire, et une naissance sur trois a lieu en présence d’un professionnel de la santé. L’espérance de vie, qui est de 53 ans, est l’une des plus faibles au monde.”
Pendant ce temps-là, Kaka Deby dépense 1 million d’euros chez des tailleurs parisiens.
Les Tchadiens ont voté dimanche 16 décembre lors d’un référendum sur une nouvelle Constitution censée ouvrir la voie à des élections et un retour des civils au pouvoir, promis il y a deux ans et demi par la junte militaire mais repoussé à fin 2024. Le référendum constitutionnel au Tchad promet surtout une transition sans changement — ni stabilité. Comme l’écrit bien l’historien Nathaniel Powell, dans un pays en proie aux rébellions et malgré le soutien indéfectible de Paris, “le sort de Deby est incertain. Celui de la démocratie est scellé”.
CHINE
La République Populaire de Chine ne tolère aucune voix libre. Une journaliste du « South China Morning Post », Minnie Chan, spécialiste des questions de défense et de diplomatie au quotidien anglophone de Hongkong, s’était rendue à Pékin fin octobre pour couvrir une conférence internationale et a depuis disparu. Ses amis et ses collègues sont sans nouvelles d’elle depuis près d’un mois. Après l’éclatement de la bulle immobilière, les scandales de corruption et les enquêtes se multiplient, notamment dans le secteur bancaire avec la condamnation à vie d’un banquier ayant détourné plus de 3.4 milliards de yuan (446 millions d’euros).
A Hong-Kong, le pouvoir central du parti communiste continue d’étendre son emprise. Le procès en cours de l’homme d’affaires pro-démocratie Jimmy Lai, accusé de "collusion avec des forces étrangères", est une étape de plus dans ce processus. Comme le rapporte cette chronique, à Hong Kong la Chine a gagné par KO. Et alors que les élections se rapprochent à Taïwan, Pékin mène une campagne sur plusieurs fronts pour tenter d'empêcher le Parti démocrate progressiste, d'être réélu.
Pour finir - la citation
Raymond Aron (philosophe français, 1905-1983), dans Démocratie et totalitarisme (1970) :
« Croire à une idée fausse suffit parfois à la rendre vraie »