#29 - Coup d'Etat numérique / Focus : Rapport V-Dem 2025 / Point chaud : Guinée-Bissau
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Au sommaire
Les Etats-Unis vivent-ils un coup d’État numérique ?
Les points clés du rapport V-DEM 2025 : “25 Years of Autocratization – Democracy Trumped?”
Point chaud : Guinée-Bissau
Crédit : Aboudia
Aboudia (de son vrai nom Abdoulaye Diarrassouba) est un peintre ivoirien né le 21 octobre 1983. Il se qualifie lui-même de "naïf" et certains font un parallèle avec Jean-Michel Basquiat. Il représente la génération de jeunes victimes de la guerre civile. Les « Môgôs » sont des personnages récurrents dans ses peintures. Dans la langue nouchi, « Môgô » signifie « un ami fidèle de tous les jours ». Sa technique est reconnaissable à l’usage de pastels gras mais aussi régulièrement de peinture acrylique et de collage.
Du coup d’État numérique
Le 6 janvier 2021, le président Trump a présidé à une tentative de coup d’État. Revenu au pouvoir, il préside à un nouveau coup d’État, qui passe par la prise en main totale des données de l’administration américaine par les hommes d’Elon Musk, les “DOGE kids”. Une grande partie des infrastructures informatiques fédérales est complètement déstabilisée par les attaques du DOGE. Par exemple, la purge du personnel informatique et des cadres du ministère de la Santé et des Services sociaux (HHS) met en danger critique des données de santé publique, notamment des centaines de millions de dossiers de santé et d’essais cliniques… Pour le magazine Wired, après avoir infiltré des dizaines d'agences fédérales, viré des dizaines de milliers de travailleurs et siphonné des millions de données, Elon Musk a une seule obsession : déployer l’IA.
Selon un article de Libération, l’intelligence artificielle est ainsi envisagée pour suppléer bientôt les 1 600 employés des centres d’appels qui répondent aux questions d’étudiants et de parents sur leurs dossiers de prêts. « Tout ce qui peut être automatisé par des machines le sera, a confié un membre de l’entourage trumpien au Washington Post. Les technocrates remplaceront les bureaucrates. »
Pendant un temps, Musk fut quelque peu critique de l’IA qu’il voyait comme une menace pour l’humanité, si elle n’était pas régulée. Désormais, le PDG de Tesla et de Space X a complètement orienté ses actions vers le développement de cette technologie. Ainsi, en plus de faire une belle plus-value sur les marchés financiers, sa start-up d’intelligence artificielle (xIA) vient de racheter son réseau social (X) pour 45 milliards de dollars : « Pour xAI, l’accès à X est également un canal de distribution précieux pour son assistant Grok (…) Grok dispose en retour d’un avantage intéressant dans la concurrence féroce avec les autres assistants comme ChatGPT ».
L’économiste Mariana Mazzucato rappelle que les systèmes algorithmiques actuels sont utilisés pour extraire des « rentes algorithmiques » - en utilisant l'IA pour concentrer le pouvoir de marché et extraire la richesse des utilisateurs et des petits acteurs de l'économie numérique. Elle rappelle aussi à quel point la délégation de la réflexion stratégique sur le numérique à de grands cabinets de conseils et à des conseillers issus de la Big Tech a fragilisé les États et multiplié les risques de conflits d’intérêts, jusqu’au paroxysme de l’administration Trump.
L’IA justifie aussi le discours messianique autour de la fin du monde et la possibilité d’une résurrection par la technologie. Bill Gates pense que dans « 10 ans, l'IA remplacera de nombreux médecins et enseignants ; les humains ne seront pas nécessaires pour la plupart des choses ». Pour Elon Musk : « L'avenir le moins effrayant auquel je peux penser est celui où nous avons au moins démocratisé l'IA ... ». L’IA réactive des croyances mystiques ce que le théologien Rudolf Otto qualifiait de « numineux » : une expérience ambivalente du sacré mêlant fascination (fascinans) et effroi (tremendum) face à une puissance qui nous dépasse.
Pour le professeur de sciences politiques à Georgetown, Phillip Ladd, la croyance en l’IA est un « évangélisme de remplacement »
Cela fait écho au travail de l’historien canadien Quinn Slobodian, auteur du Capitalisme de l’apocalypse. Ou le rêve d’un monde sans démocratie. Selon lui, s’exprime aujourd’hui chez les géants de la Tech : le rêve libertarien d’un monde fragmenté. En libéralisant l’accès aux données numériques, les nouveaux maîtres de Washington visent à instaurer un capitalisme pur, débarrassé de toute contrainte démocratique et dominant un État minimal devenu une entreprise comme les autres.
L’historien Timothy Snyder a écrit un texte sans équivoque : “Of Course It’s a Coup”. Il y dit : « En obtenant des données sur nous tous, Musk a piétiné à toute notion de confidentialité et de dignité, ainsi que sur les accords explicites et implicites conclus avec notre gouvernement lorsque nous payons nos impôts ou nos prêts étudiants. Et la possession de ces données permet le chantage et les crimes supplémentaires. »
Le coup d’État numérique passe aussi par des attaques coordonnées contre des bastions de l’internet libre. L’exemple de Wikipédia est le plus marquant, y compris en France où le magazine le Point mène une véritable croisade contre l’encyclopédie. Septième site le plus visité au monde, c’est le seul qui est à but non lucratif, sans publicité, sans collecte de données et sans PDG milliardaire. Si Wikipédia n’est pas exempte de critiques (interventions extérieures coordonnées, domination masculine, manque de diversité…), le site joue un rôle éducatif majeur et illustre l’idéal d’un internet libre, bâti sur des communs et le partage des savoirs.
La journaliste d’investigation Carole Cadwalladr - à l’origine des révélations sur le rôle de Facebook dans la désinformation en faveur du Brexit - a prononcé récemment un TEDTalk où elle a clairement mis en lumière ce que les « Dieux de la tech » ou la « Broligarchie » font au quotidien : « j'accuse Sam Altman, le PDG d'OpenAI, qui s'exprime ici ce vendredi, non seulement de vol de données, mais aussi de viol de données (data rapist). »
Dans sa prise de parole, elle partage des idées pour désobéir face au coup d’État numérique en cours : « Je crois que les mouvements existants - le mouvement syndical, le mouvement des droits civiques - sont fondamentaux pour affirmer nos droits face à la Silicon Valley, pour reconstruire Internet depuis la base pour rejeter la prise de contrôle autocratique non seulement aux États-Unis mais la prise de contrôle de notre réalité : nous vivons tous sur ces plateformes. »
Pour y parvenir, l’artiste Gregory Chatonsky, dont la pensée est résumée dans l’excellente lettre d’information Dans les algorithmes, suggère de revoir notre manière de penser le politique. Il propose de qualifier le second mandat de Trump de « vectofascisme » à l’heure de l’emprise sur les corps d’une nouvelle géographie computationnelle :
« Le second mandat Trump n’est pas un “retour” au fascisme – comme si l’histoire suivait un schéma circulaire – mais une réémergence fracturée dans un champ techno-affectif radicalement distinct. […] nous ne sommes plus dans une politique des masses mais dans une politique des vecteurs, des lignes de force et des intensités directionnelles qui traversent et constituent le corps social algorithmisé. […] Cette dématérialisation n’est pas une disparition du corps mais sa redistribution dans une nouvelle géographie computationnelle qui reconfigure les coordonnées mêmes du politique. D’ailleurs, quand ces corps se mobilisent physiquement c’est grâce au réseau. »
Focus - Rapport V-DEM 2025 sur la démocratie dans le monde
V-Dem produit chaque année le plus grand ensemble de données sur la démocratie dans le monde avec plus de 31 millionsde données compilées dans 202 pays sur une période allant de 1789 à 2024. V-Dem mesure plus de 600 caractéristiques et attributs de la démocratie. Le rapport 2025, intitulé 25 Years of Autocratization – Democracy Trumped ? , agrège les contributions de 4 200 experts. L’étude ne prend pas en compte le nouveau mandat de Donald Trump qui a débuté sa président le 20 janvier 2025.
Points clés :
Le niveau de démocratie pour le citoyen moyen du monde est revenu à 1985. Les auteur·ices parlent de « troisième vague d’autocratisation ».
Les critères qui déclinent le plus : liberté d’expression, élections de qualité, liberté d’association et état de droit.
Les trois armes favorites de l’autocratisation : la censure des médias, l’affaiblissement des processus électoraux et de la société civile.
L'Europe de l'Est et l'Asie du Sud et centrale connaissent un déclin particulièrement marqué.
Le monde compte moins de démocraties (88) que d’autocraties ( 91) pour la première fois en plus de 20 ans.
Les démocraties libérales sont devenues le type de régime le moins courant au monde (29 pays).
72% de la population mondiale vit désormais dans les autocraties.
Les trois pays les plus peuplés dans une dynamique de démocratisation : Brésil, Pologne et la Thaïlande.
La Biélorussie sombre vers l'autocratie fermée, devenant la première autocratie fermée en Europe depuis 25 ans.
La Hongrie se classe en tête des pays en autocratisation en termes d'ampleur du changement. Avec l’Inde, en autocratisation depuis 2008, c’est le pays qui illustre le mieux la vague d’autocratisation en cours.
La démocratie sur le continent africain est revenue à son niveau de 2000. Ces baisses sont en partie dues à une série de coups d'État dans la région du Sahel de 2020 à 2023, ainsi qu'à des régimes de plus en plus autoritaires dans des pays déjà autocratiques comme la République centrafricaine, les Comores, le Mozambique et le Togo. En outre, le déclin dans certains des pays les plus démocratiques comme le Bénin, le Botswana et le Ghana contribue à la tendance actuelle à l'autocratisation.
Les événements récents au Brésil, en Pologne et en Zambie montrent que l'autocratisation peut être stoppée et inversée. Un article de chercheurs du V-DEM revient sur tous les revirements de 1900 à 2023, en différenciant trois types : la manipulation autoritaire, la réaction démocratique et l'intervention internationale. L'analyse montre que :
De 1900 à 2023, 102 épisodes d’inversion (U-Turn) de l’autocratisation vers la démocratisation ont eu lien dans dans 69 pays.
52 % de tous les processus d'autocratisation s’inversent dont 73 % au cours des 30 dernières années.
90 % des inversions des tendances conduisent à des niveaux améliorés de démocratie.
POINTS CHAUDS
Crédit : Aboudia, Djoly du Mogoba, 2011
Guinée-Bissau
La Guinée-Bissau – petit pays de la côte ouest de l’Afrique de 2 millions d’habitants – est entrée dans une nouvelle phase de crise politique après la décision unilatérale du président Umaro Sissoco Embaló de repousser les scrutins présidentiel et législatif à novembre 2025. Son mandat aurait dû prendre fin le 27 février. Cependant, la Cour suprême du pays a décidé que ce mandat se terminerait finalement le 4 septembre. La crise a en réalité débuté en décembre 2023, lorsque le président (élu en février 2020 pour un mandat de cinq ans) a dissous le Parlement en invoquant une tentative de coup d’État. Cette dissolution était anticonstitutionnelle, parce que l’Assemblée n’était pas en place depuis au moins douze mois. Le chef d’État concourt pour un second mandat et a indiqué qu’il gagnerait au premier tour. Ses relations avec l’organisation régionale, la CEDEAO, sont tendues. Le président Sissoco Embaló jouit malgré tout d’une certaine légitimité internationale, en témoigne la récente visite de son homologue portugais ou sa réception à l’Élysée début mars. À Lisbonne, le collectif de diaspora guinéenne Firkidja di Pubis a récemment envoyé une lettre ouverte au président de la République du Portugal, l’exhortant à ne pas inviter le chef d’État guinéen aux commémorations de la Révolution des Œillets (le 25 avril).
Selon Vincent Foucher, chercheur au CNRS et spécialiste de la Guinée-Bissau, la crise « est un jeu avec trois acteurs principaux. L'armée, d'un côté. Le président Sissoco Embalo, de l'autre. Et le PAIGC, qui est le parti historique, qui a mené la lutte de libération et qui a exercé une hégémonie politique pendant très longtemps, jusqu'à la fin des années 1990, sur la vie politique en Guinée-Bissau. »
La situation politique se tend encore avec la disparition le 15 avril dernier du président de la Ligue des droits de l'Homme de Guinée-Bissau est introuvable. Sa disparition intervient après qu’il a qualifié sur sa page Facebook le service d'hémodialyse de l'hôpital Simon Mendes à Bissau de "mouroir". Le président guinéen a réagi publiquement en niant tout décès à l’hôpital et en demandant que le leader de la société civile réponde à la convocation du procureur. Le ministre de l’intérieur a nié que des policiers aient pu arrêter le président de la LGDH.
La Guinée-Bissau, est devenu une véritable tête de pont du trafic de drogue international entre l’Amérique du Sud et l’Europe. Le trafic implique des personnalités clés de l’état-major et des administrations. L’élite bissau-guinéenne utilise intensivement le Portugal pour blanchir de l’argent. Le crime organisé implique notamment les cartels de Sinaloa, ainsi que les gangs vénézuéliens et brésiliens
Pour finir - le chiffre et la citation
Le chiffre
« Le Lesotho, qui a beaucoup développé son industrie textile et réalise 27,5 % de ses exportations vers le pays de l’Oncle Sam, se retrouve menacé de droits de douane de 50 %. Si ce tarif est réellement mis en œuvre à l’issue de la « pause » décrétée par l’administration américaine, le pays pourrait perdre pas moins de 8,2 % de son PIB, selon les calculs du cabinet de conseil auprès de gouvernements et d’institutions publiques Global Sovereign Advisory. »
Source : Alternatives Economiques
La citation
Tommy Douglas (1904-1986) à Ottawa (Canada), est un pasteur chrétien baptiste et un homme politique canadien : « Le fascisme commence quand une classe dirigeante, craignant que le peuple puisse utiliser la démocratie politique pour obtenir une démocratie économique, commence à détruire la démocratie politique afin de conserver son pouvoir d'exploitation et ses privilèges. »