#25- L'Afrique dans un monde multipolaire / Rendez-nous le football / Points chauds : Géorgie, Paraguay.
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L’Afrique dans un monde multipolaire
Rendez-nous le football
Points chauds : Géorgie, Paraguay
Crédit : Oscar Murillo
Oscar Murillo (né en 1986) est un artiste peintre colombien.
Crédit : Oscar Murillo - Manifestation 2020-2023
L’Afrique dans un monde multipolaire
Dans une récente étude dont je suis un des co-auteurs, nous avons analysé le rejet de la politique de la France en Afrique francophone, en se basant sur le témoignage de 500 acteurs de la société civile dans six pays (Bénin, Cameroun, Côte d’Ivoire, Gabon, Niger, Tchad). Cette étude est le fruit d’un travail collectif en partenariat avec le CERI-Sciences Po, Tournons La Page et de nombreux chercheurs en Afrique.
Une synthèse très intéressante du rapport est à retrouver sur le site d’Afrique XXI. Vous pouvez aussi regarder l’entretien que j’ai donné au JT Afrique de TV5 Monde sur le sujet.
Le rapport évoque la relation des acteurs de la société civile avec les grandes figures politiques internationales, comme le représente l’infographie ci-dessous. Emmanuel Macron est largement décrié, tandis que Vladimir Poutine est, en miroir, plébiscité. Les dirigeants ayant pris le pouvoir par les armes au Burkina Faso et au Mali inspirent confiance, en premier lieu pour leurs efforts « pour restaurer ou préserver la souveraineté nationale ».
Extrait du rapport : “ L’action et les ambitions de la Russie sont bien évoquées dans les débats des focus-groups. Le cadrage médiatique et politique dominant autour de l’affrontement franco-russe en Afrique est repris comme une grille de lecture efficiente, avec une polarisation des représentations géopolitiques de l’Afrique et du monde. (…) La multiplication des accords avec la Russie –ou la possibilité d’en conclure à l’avenir – est considérée, en premier lieu, comme l’expression d’une souveraineté retrouvée des pays africains, avec la possibilité revendiquée de choisir librement ses partenariats” .
Le discours souverainiste et anticolonial de Vladimir Poutine semble donc trouver un certain écho auprès d’un panel large d’acteurs civils de pays d’Afrique francophone. Dans une étude publiée récemment, le chercheur Maxime Audinet (IRSEM) analyse la montée en puissance du “récit stratégique” de dénonciation du néocolonialisme porté par Vladimir Poutine. L’actualisation du récit anti(néo)colonial - un “tournant narratif” - est manifeste depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022.
“L’analyse se concentre d’abord sur les « narrateurs » politiques du récit anti(néo)colonial russe, tant dans le discours poutinien que parmi les élites du pouvoir, dans la communication diplomatique ou au sein des milieux parlementaires russes. Elle explore ensuite la manière dont ce récit est propagé par les principaux acteurs de l’écosystème d’influence informationnelle dela Russie – RT et Sputnik, « galaxie Prigojine », African Initiative– en observant sa diffusion vers l’Afrique subsaharienne. L’étude met enfin en évidence trois objectifs recherchés par la Russie à travers cet usage démultiplié du récit anti(néo)colonial : la légitimation de sa politique étrangère contemporaine par la fabrication d’une continuité historique avec l’engagement anti-impérialiste soviétique ; le renouvellement de la critique de l’interventionnisme occidental, y compris à des fins d’inversion accusatoire ; la séduction des audiences ciblées dans les pays du « Sud global » par la recherche de convergences discursives et idéologiques.” Maxime Audinet.
Dans une période d’intensification des oppositions entre puissances étrangères pour le maintien de leur influence en Afrique, la France semble ne pas vouloir opérer de changement de paradigme. Une étude récente de Thierry Vircoulon sur la nouvelle configuration envisagée de la coopération militaire française sur le continent ne dit pas autre chose :
“Au lieu de démilitariser la relation franco-africaine, le gouvernement français cherche à inventer un nouveau modèle de partenariat militaire qui est politiquement risqué et ne va pas mettre fin aux aspects les plus visibles et les plus critiqués de la relation militaire franco-africaine.” T. Vircoulon.
Et quelles conséquences aura le retour à la Maison Blanche de Donald Trump pour l’Afrique ?
Pour Chris O. Ogunmode “ les gouvernements africains ne peuvent pas se permettre d'être idéalistes dans leur engagement avec Washington pendant la deuxième présidence de Trump.”
Dans son analyse, il souligne plusieurs faits et hypothèses pertinents quant aux futures relations USA-Afrique :
De nombreux chefs d’Etat ont félicité le nouveau président et ont cherché à attirer l'attention de M. Trump en misant sur son goût bien connu pour la flatterie. Pour certains gouvernements (comme l’Ouganda), ils espèrent une rupture nette avec l’administration Biden et la fin des remontrances en cas de mauvaise gouvernance ou d’atteintes aux droits humains.
Des intermédiaires très liés au pouvoir en place en Afrique et des lobbyistes seront certainement envoyés rapidement à Washington et à Mar-a-Lago pour chuchoter à l’oreille de D.Trump : Franck Biya, Seyi Tinubu, Johann Rupert, Raph Kabengele, David Lagat...
La popularité de Trump sur le continent serait exagérée, due essentiellement au nombreux chrétiens évangéliques au Nigeria et au Kenya, deux anciennes colonies britanniques “où le sentiment pro-occidental est bien ancré au sein de la population”.
Cependant, son discours trouve un écho positif dans de larges pans des sociétés africaines : discours conservateur sur la famille, mythe du self-made man, discours franc et direct, volonté de s’affranchir des règles et d’offrir des résultats tangibles d’enrichissement des classes moyennes urbaines…
“Trump est notoirement difficile à prédire, et personne ne peut voir l'avenir. Son administration pourrait s'avérer plus efficace que prévu dans ses relations avec les pays africains. Le Congrès américain pourrait jouer un rôle plus important dans la politique africaine et ne pas donner suite à certaines des propositions les plus radicales de M. Trump, telles que des réductions drastiques de l'aide américaine.“
La Chine continue elle aussi de densifier ses relations avec de nombreux pays africains. Un ouvrage - Chine, puissance africaine. Géopolitique des relations sino-africaines - vient de paraître et revient sur les cinq modalités de coopération construites depuis les années 1990 : “commerce, investissements, contrats remportés par les entreprises chinoises, aide au développement et prêts octroyés par les banques chinoises”. Début septembre, le Forum sur la Coopération Sino-Africaine (FOCAC 2024) a réuni 30 représentants d’États africains et s’est conclu par un engagement de 50 milliards de dollars de nouveaux financements, confortant la Chine comme premier partenaire du continent.
Crédit : Oscar Murillo - Surge social cataracts 2020-2022
Rendez-nous le football
Le football moderne est (justement) perçu comme très éloigné des enjeux démocratiques. Mais avant d’avancer sur la critique nécessaire du football professionnel contemporain, il est impératif de bien distinguer entre le sport de haut niveau et le sport de masse, la compétition professionnelle et amateure. Il est aussi important de rappeler :
“qu’en dépit qu’il occupe une place sociale et culturelle centrale, il (le football) reste très mal connu, méprisé par les intellectuels et saturé de prénotions.” - Igor Martinache.
Sur le plan philosophique, démocratie et sport sont liés selon Isabelle Queval :
“Toute compétition sportive met en scène la tension entre une démocratie de principe, celle de la ligne de départ, dirons-nous et une aristocratie du résultat, soit la victoire du champion”.
Le football professionnel a connu, notamment depuis le tournant des années 1990, une expansion économique majeure renforçant des dynamiques inégalitaires, un accaparement des joueurs (des produits financiers) et des liens de plus en plus étroits avec des puissances financières et politiques largement critiquables. Pour comprendre Ce que le football est devenu, je vous invite à lire le très didactique ouvrage de Jérôme Latta.
Pour le journaliste Nicolas Guillon '“le football, pris au piège d’une fuite en avant néolibérale, s’est tiré une balle dans le pied.”
Parmi les symptômes d’un football qui gangrène, le journaliste souligne la dénaturation du sport par l’usage intensif de la data. La prédominance de la donnée sur l’inspiration tuerait le romantisme et l’imprévu dans ce sport… et éloignerait progressivement le public des stades et des écrans. Bien loin de l’idéal poétique du football défendu par le leader de la "démocratie corinthiane”, Sócrates, qui s’est opposé à la dictature militaire dans les années 1980.
« Gagner n’est pas la chose la plus importante. Le football est un art, et il devrait montrer de la créativité. »
Calqué sur le modèle nord-américain du basket ou du football américain, le culte de la performance individuelle donne désormais une place prépondérante aux joueurs de football stars au détriment du collectif. Ces joueurs deviennent de plus en plus des acteurs financiers du sport, comme Gérard Piqué qui développe une version entertainment du football ou Kilyan Mbappé qui rachète le club du Stade Malherbe de Caen, ce qui pose de nombreux dilemmes et risques de conflits d’intérêts.
Mais, le football rappelons-le est un sport arraché à l’élite par les ouvriers. Les premiers codes du jeu sont écrits au milieu du XIXe siècle dans le cadre aristocratiques des universités anglaises. Mais, contrairement au rugby, dans le Nord du pays sa pratique sportive liée à l’industrie va se professionnaliser et offrir une place et une opportunité d’ascension sociale aux ouvriers. Le football incarne avec éclat ce paradoxe entre la popularité de sa pratique, la croyance en la victoire du “petit poucet” et la domination de fait de plus en plus implacable des clubs et des nations les plus riches. Pour renouer avec l’histoire d’un football émancipateur, pour les hommes et les femmes, en Europe comme ailleurs dans le monde, le livre de Mickaël Correia Une histoire populaire du football est un formidable tour d’horizon. Depuis plus d'un siècle, le foot est un puissant instrument d'émancipation pour les ouvriers, les féministes, les militants anticolonialistes, les jeunes des quartiers populaires et les contestataires du monde entier. Il crée des espaces de contre-culture. Alors que les marchés et investisseurs incitent à faire des clubs des entreprises comme les autres, certains clubs résistent et construisent des alternatives. Aujourd’hui, le club professionnel qui incarne le mieux cette alternative est le FC St. Pauli.
Ce club de première division allemande (Bundesliga) est situé dans le quartier rouge de Hambourg se définit depuis les années 1980 comme de gauche, antifasciste, antisexiste et antiraciste. Il y a quelques jours, le FC St. Pauli a décidé de quitter le réseau social X d’Elom Musk : « Le propriétaire (de X) Elon Musk a fait d'un espace de débat un amplificateur de haine qui peut également influencer la campagne électorale du Bundestag (les élections législatives allemandes».
A un niveau sportif plus modeste, le Spartak Lillois, issu de la pratique sportive étudiante, s’est dotée d’une gouvernance dite collégiale, favorisant l’horizontalité avec des responsabilités réparties sur un groupe large de personnes, à l’inverse d’une structuration plus classique reposant sur un nombre restreint de personnes se distribuant les rôles de président·e, de trésorier·e ou de secrétaire. Un exemple de gouvernance associative, au-delà du football.
Enfin, s’intéresser aux tribunes des stades de foot et aux pratiques du supportérisme, c’est aussi regarder de plus près les courants politiques et les tendances des sociétés.
Les tribunes sont aussi un révélateur des fractures politiques qui traversent nos sociétés. Ainsi, “la gentrification progressive des tribunes est concomitante à un retour du militantisme d’extrême-droite, que les ultras avaient précisément aidé à repousser” (Nicolas Guillon). L’alliance de fait du néolibéralisme et du fascisme dans les gradins…
POINTS CHAUDS
Crédit : Oscar Murillo - Untitled with another drawing verso (2016)
GÉORGIE
L’ancien attaquant de football de Manchester City, Mikhaïl Kavelashvili va devenir président de la Géorgie. Sa formation politique, le parti pro-russe Rêve géorgien, a remporté les élections législatives du 26 octobre, dont les résultats sont contestés par l'opposition. Un mois après des élections législatives contestées, la crise politique se poursuit dans le pays du Caucase où les manifestants pro-européens se sont mobilisés lundi contre la nouvelle session parlementaire. A la suite d’élections extrêmement tendues, la doctorante en sciences politiques, Ana Andguladze, s’interroge : Élections décisives en Géorgie : fin ou renouveau du modèle démocratique ? En effet, le parti au pouvoir entame désormais un quatrième mandat consécutif et met en place un glissement radical vers l’autocratie avec un rapprochement du pays avec la Russie. Le gouvernement s’est ouvertement autocratisé, dans le courant 2024, en introduisant plusieurs initiatives législatives menaçant la société civile, la liberté des médias, les droits des personnes LGBT+ et l’intégrité des élections. Washington et Bruxelles ont suspendu des aides pour un montant total de plus de 200 millions de dollars. En plus des manifestations toujours en cours contre les élections frauduleuses d’octobre, la société civile résiste aussi. La très grand majorité des ONG ont refusé de s’enregistrer comme “agents de l’étranger” en vertu d’une loi promulguée en septembre 2024 pour contrôler les financements étrangers des associations, sur le modèle russe. Dans une note récente, l’Institut V-Dem rend palpable la dégradation des indicateurs de démocratie en Géorgie :
“La poursuite de la tendance actuelle pourrait faire de la Géorgie un cas confirmé d'autocratisation. “
PARAGUAY
Le Paraguay est dirigé depuis août 2023 par le président de droite Santiago Peña. Le parti conservateur Colorado règne sans partage sur la vie politique depuis les années 1950 (à l’exception de 2008, quand une alliance gauche-libéraux mena au pouvoir un ex-évêque Fernando Lugos). Actuellement, le parti domine le pouvoir législatif en plus de la présidence. L'octroi d'emplois publics en échange de l'affiliation au parti est dorénavant la norme, tant l’intrication entre Etat et le parti Colorado est forte. Économiste, passé par le FMI et ancien ministre des finances, le président se positionne comme un héritier de la dictature d'Alfredo Stroessner (la plus longue de l’histoire sud-américaine). Peña est hostile au droit à l'avortement et à la légalisation du mariage homosexuel. Le président paraguayen se rendra en France début décembre, puis voyagera vers Israël pour transférer l'ambassade paraguayenne de Tel-Aviv à Jérusalem. Sur un autre sujet géopolitique important, le Paraguay a décidé d’appuyer l’Etat du Maroc face au Front Polisario concernant le Sahara occidental. Lors de son passage à l’Examen Périodique Universel du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, le pays a été critiqué pour les violences physiques et sexuelles subies par les femmes. L’avortement y est interdit, même pour des cas de viols. Le 9 octobre dernier, le Congrès a approuvé la #LeyGarrote, une loi qui met en péril le travail en faveur des droits humains au Paraguay, en renforçant le contrôle exercé sur le travail des organisations de la société civile.
Pour finir - la citation et le chiffre
Crédit : Oscar Murillo - La era de la sinceridad (2012)
LE CHIFFRE
Pour la première fois depuis 2009, l'Inde envoie plus d'étudiants dans les universités américaines que la Chine. Le nombre d'étudiants indiens inscrits dans les universités américaines a augmenté de 23 % l'année dernière. L'Inde a envoyé 331 602 étudiants dans les universités américaines pour l'année scolaire 2023-2024, selon les données Open Doors de l'Institute of International Education.
LA CITATION
Kohei Saito (né en 1987), économiste japonais dans “Moins ! La décroissance est une philosophie” (2024) :
« Appelons “politisme” l’idée selon laquelle il suffit de choisir ses dirigeants par le vote dans le cadre de la démocratie représentative et de laisser ensuite aux politiciens et aux experts la responsabilité de modifier les systèmes et réglementations. Constamment dans l’attente d’un dirigeant charismatique, quand un candidat satisfaisant apparaît, on vote pour lui. La clé de la réforme se trouve donc dans la transformation des comportements de vote. Avec cependant pour conséquence que le champ de la lutte a tendance à se limiter à la campagne électorale qui devient une lutte d’images autour de programmes ou de candidats dans les médias ou sur les réseaux sociaux. Le coût en est évident. »